Sanglots

Dans « Adam et Cassandra » de Barbara Pym (1936), un pasteur dit que : « Les diplômes de théologie pour donner tous leurs fruits doivent recevoir le levain que seule fournit l’Ecole de la Vie, » avant de frotter sa batte de cricket avec un chiffon imbibé d’huile.

En lisant ces lignes admirables, je sanglotais à gros bouillons et mouillait la moquette. Mes pieds n’allaient pas tarder à faire floc, floc. 

Ma tante se voulut rassurante : « Je ne veux pas te contrarier, mais tu devrais oublier ces lignes avant de complètement ramollir du dedans. Pense à ce conseil de Julien Green : « La sortie de secours est à l’intérieur de nous-mêmes. »

Par un habile exercice de pensée, je me souvins de ma voisine qui m’avait parlé des cochons cachectiques. Si le cochon est cachectique, c’est parce qu’il ne trouve pas de solution intérieure à son tourment principal, terminer en jambon.

A moins de rencontrer des cannibales post-apocalyptiques, je ne terminerai pas en jambon. Un premier pas vers la sortie de secours.

Vous allez me dire que la phrase Barbara Pym n’a rien à voir avec la tristesse. La théologie génère de l’intérêt pour les spécialistes et en général de l’ennui pour les autres. Il n’y a pas de raison de pleurer.

Mes sanglots provoqués par l’évocation de la théologie, avaient-ils une connotation religieuse ?

A ce stade, j’avoue que je me sens comme une Sainte Vierge lumineuse qui n’éclaire pas grand chose.

Statue de Vierge fluo lumineuse

La critique est aisée..

Ma tante : Ton billet sur Marie-Antoinette, c’est une histoire rebattue.

Moi : Dans l’antiquité, au Sanctuaire de Saïs en Egypte, il y avait une inscription sur une statue assise d’Athena (Isis pour les égyptiens) : « Je suis tout ce qui a été, est ou sera, et aucun mortel n’a encore soulevé mon voile. » A l’inverse, Marie-Antoinette, reine de France, aime se montrer à la cour et à ses sujets.

Ma tante : Comme explication vaseuse, on ne fait pas mieux.

Moi : Avant d’écrire un billet, je me livre à des actes apotropaïques, à des ablutions et des pratiques de purification. Je vois que j’ai loupé quelque chose, puisque tu me critiques.

Ma tante : Voilà que tu cherches à conjurer le mauvais sort. On aura tout vu!

Moi : Et encore, je n’ai pas invoqué Théantridès, « dieu qui a un aspect viril et qui insuffle dans les âmes le genre de vie non-féminin. » *

Ma tante : Mange donc un sandwich aux œufs et au cresson ! Imprime ton dernier billet et fais-en un bateau en papier, ça amusera les petits enfants.

Moi : Le sandwich est bon. Tu devrais en faire plus souvent.

Ma tante : En écrivant tes billets, ne pense à rien. Un exercice paradoxal et enrichissant.

*Damascius (458-533), Vie d’Isidore.

Portraits

Marie-Thérèse d’Autriche, la mère de Marie-Antoinette était mécontente des portraits de sa fille exécutés par des peintres français, suédois et allemands.

C’étaient des portraits réalistes où Marie-Antoinette n’était pas à son avantage : yeux globuleux, double menton et profil chevalin.

En janvier 1778, Louise Elisabeth Vigée-Lebrun se présente à la cour. Elle a une excellente réputation de portraitiste.

Elle saura « arranger » la reine et réalisera une trentaine de portraits. Ceux qui parviendront à Marie-Thérèse d’Autriche lui plairont beaucoup.

Portrait « réaliste » par le suédois Wertmüller :

Portrait « arrangé » par Elisabeth Vigée-Lebrun.

Autoportrait d’Elisabeth Vigée-Lebrun.

Regarder couler le temps

 Joseph Joubert (1754-1824) : « S’il est un homme tourmenté par la maudite ambition de mettre tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase, et tout une phrase dans un mot, c’est moi. » 

Cette citation résume fort bien l’incapacité de Joubert à écrire un livre.

Il pense à écrire un livre, mais il ne laissa que des « Carnets » rédigés entre 1774 et 1824. Les carnets seront publiés en 1838, grâce à Chateaubriand.

Il se contente « de regarder couler le temps. »

Ma tante se demandait s’il fallait un savoir faire pour regarder couler le temps.

Pour ma part je mets la plus grande distance possible entre le temps  et moi, car vous aurez remarqué combien l’ambiance devient oppressante, si on s’approche un peu trop du temps.

Ma tante m’a proposé de raconter l’histoire d’un temps en plastique phosphorescent poursuivi par la police. « Cela mettrait un peu de piquant au problème du temps. Mais s’écarter du temps n’a aucun intérêt, le temps n’est qu’une illusion. D’ailleurs relis Kant, pour qui Espace et Temps ne relèvent pas des choses elles-mêmes, mais de l’esprit. »

Plutôt que de relire Kant, je me dis qu’il serait moins ennuyeux de surmonter, par un sursaut de la volonté, cet instant de faiblesse au sujet du temps. 

Je pensais aussi à recycler le début d’un livre abandonné : « Le paysage était un pur dépaysement et un lieu enchanteur, résonnant du chant des oiseaux et du bruit des cascades argentées. Le temps en plastique phosphorescent tentait d’échapper à la police en s’abritant sous une cascade.. »

Un bon début !

La Pythie de Delphes

(photo d’un texte tiré de, « Sur les oracles de la Pythie« , Les Belles Lettres, 2007).

Plutarque (46-125 ap. JC), nous raconte comment se déroulait une séance – ici quelque peu perturbée – d’une Pythie, au début de l’antiquité tardive.

Delphes est appauvrie et ne compte plus qu’une Pythie.

La Grèce est en déclin et fait face à une certaine désertification (d’après Plutarque).

Il s’offusque de ce que les oracles ne soient plus dits en vers mais en prose.

Et les grecs ne venaient consulter la pythie que pour les tracas du quotidiens (les mariages, les périls de la navigations, et les problèmes financiers).

« Tout m’afflige et me nuit, et conspire à me nuire. »

Je me répétais : « Il faut arrêter de se trifouiller l’esprit ! »

L’homme en face de moi, tout habillé en noir, me regardait comme Lee van Cliff regardait Clint Eastwood dans, « Le Bon, la Brute et le Truand. »

Il avait – comme moi – sa main près de son pistolet à barillet.

Nous attendions que la vieille balançoire s’arrête pour commence à tirer. Le bruit de chaine grinçante rythmait les secondes. L’homme en noir m’avait accordé un sursis, en donnant une impulsion à la balançoire, (il l’avait amenée).

Nous étions à dix mètres de distance sur le sable de Joshua Tree Park, entre les rochers étranges de Split Rock. J’avais un panama équatorien, il avait un stetson noir.

J’essayais d’avoir le même regard que Charles Bronson dans « Il était une fois dans l’Ouest », mais il me manquait un visage buriné et un harmonica.

Une guêpe – il y en avait des centaines dans le parc – se posa sur mon nez, et me piqua avant de repartir.

Damned ! Mon nez se mit à enfler et me brouilla la vue.

Le bruit de la balançoire venait de s’arrêter.

Il y eut deux détonations.

Poussières secrètes

Ma tante m’avait contacté, car elle avait trouvé dans le grenier de sa maison de campagne une série de boîtes à chaussures numérotées et étiquetées : « Poussière secrète. »

Elle pensait que ces boites avaient été laissées là par un précédent propriétaire.

Monsieur Spock (Star Trek), dirait qu’il est illogique de garder des boîtes de poussière numérotées.

Et Giono, dans « Le Chant du Chemin » (oeuvre trop méconnue), affirme que, « Conserver de la poussière dans des boîtes, n’est pas à la portée du premier venu. »

Mais alors, pourquoi des boîtes de poussière secrète et pourquoi numéroter ces boîtes ? Pourquoi ce vain exercice ?

Mes yeux ont suivi un minuscule insecte qui évoluait parmi des grains de poussières en suspension dans l’air.

Je suggérais que les poussières étaient destinées à la chasse au fantômes, susceptibles d’éternuer à leur contact, ou alors à rendre visibles les traces de pas de l’homme invisible.

J’avais lu dans « Les philosophes de l’Inde » de Jean Filliozat, une allusion à un « pouvoir merveilleux » qu’on pouvait acquérir par le yoga : « Se faire petit comme un atome. »

Les boites contenaient-elles des yogis, après leur accession au Nirvana ?

Ma tante m’avait dit que grâce à mes propos d’emberlificoteur de sous-préfecture, elle avait récolté une crampe au cerveau. 

Le mystère reste entier..

Poussière.

Une machine à retrouver ce qu’on n’a jamais possédé ?

Avec un ami, nous avons des conversations à bâtons rompus sur à peu près tout, par exemple sur les achats de chamalows à la noix de coco et le crochetage des serrures.

Vous allez me dire que les chamalows et les serrures crochetées n’ont aucun rapport.

J’aurais pu dire les jeux d’échecs de poches et les noyaux de pêches trouvés dans le jardin, mais vous râleriez encore.

Ma tante trouve que je réponds à mes détracteurs avec autant d’entrain qu’une panne d’électricité. (Je m’interroge sur le sens exact de sa phrase.)

Mon ami me parla aussi de mettre la touche finale à sa machine à retrouver ce qui est égaré. Il voulait faire un premier essai.

Pour plaisanter, je lui dis que j’avais égaré mon poney des Shetland en tenue de plongée. Un lourd silence s’en est suivi.

Je brisais le silence : « Si votre machine marche, ne craignez-vous pas qu’il y ait des conséquences ? Et si les pouvoirs publics utilisaient votre machine pour retrouver de l’argent égaré par des mafieux ? Vous vous rendez compte qu’ils pourraient vous faire disparaître dans un bain d’acide ? »

« Non, car ma machine est d’une insoutenable immanence, comme le yoga des exorcistes du Vatican.« 

Bon…

J’avais égaré des lunettes de lecture anciennes auxquelles je tenais. Il paramétra la machine.

Elle a retrouvé des chaussettes superman que je n’ai jamais eu.

Est-ce une machine à retrouver ce qu’on n’a jamais possédé ? Je gardais mes reflexions pour moi.

Heureusement c’est pas pour de vrai.

Ma voisine : Vous savez, dans les films, lorsqu’un personnage meurt, il n’est pas vraiment mort, il fait comme si il était mort.

Moi : Oui, c’est du pipeau.

Ma voisine : Mais au cinéma, le mort est vraiment mort, même si ce n’est pas pour de vrai, sinon le spectateur n’y croirait pas.

Moi : Je comprends cet exercice de l’esprit. Tuer un acteur pour les besoins d’un film n’est pas rentable.

Ma voisine : Rassurez-vous je ne suis pas obsédée par la mort au cinéma, mais j’ai regardé récemment le Limier (1972), avec Michael Caine et Laurence Olivier.

Moi : Ah oui, là où Michael Caine est tué par Laurence Olivier car il est l’amant de sa femme. Le personnage meurt, mais il n’est pas vraiment mort.

Ma voisine : Ah, vous connaissez ?

Moi : Michael Caine fait semblant d’être mort (comme si il était mort). En plus il doit faire semblant, c’est dans le scénario, et revient harceler Laurence Olivier sous un déguisement d’inspecteur, rappelez-vous. En gros, il fait semblant au carré.

Ma voisine : Là, vous m’embrouillez.

Moi : Oui, il n’est pas mort, mais Laurence Olivier va le tuer à nouveau à la fin du film, et Michael Caine va faire semblant d’être mort, mais il est vraiment mort dans le scénario, à la grande déception des spectateurs qui se disent, heureusement c’est pas pour de vrai.

Ma voisine : J’ai un léger mal de crâne.