Apocatastase ataraxique

Je méditais sur l’apocatastase ataraxique, ce qui amena ma tante à dire que j’étais une « erreur sur la personne » vivante.

Puisque j’étais une erreur sur la personne, je lui confiais que je me comptais en général parmi les personnes « sans aveu », qui avant le Révolution, n’étaient pas capable de prouver formellement leur identité.

Sans identité, elle me promit une disparition rapide au sein de la société.

« Je ne veux pas me transformer en geôlier de moi-même, comme dans les innombrables livres de self-help, qui nous ordonnent de ‘transformer notre vie’. « 

« En gros tu n’as pas le soucis de toi-même. »

« Je suis très honoré que tu te soucies de moi, mais Lacan dans son Séminaire (Livre II) parle de, ‘La naïveté individuelle du sujet qui croit en soi, qui croit qu’il est lui – folie assez commune.’ « 

« Tu devrais relire Emile Coué pharmacien à Troyes puis à Nancy. Il conseillait de répéter chaque matin : « Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux. » Voilà un vrai défi à méditer. »

« Bon..si on buvait un thé avec un doigt de whisky ! »

Répétez après moi : « Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux. »

Grande parleuse

Le 25 mai 1652, Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal, écrit à son neveu Antoine Le Maistre, pour l’informer du nombre grandissant de religieuses fuyant leurs monastères exposés aux troubles de La Fronde, et venues chercher refuge à Port-Royal de Paris :

« Vous vous plaignez de ce que je ne vous ai répondu qu’un petit billet à une grande lettre et je me plains souvent à Dieu de ce qu’il ne me fait pas la grâce de retenir ma plume et ma langue pour ne dire que les choses nécessaires, étant dans un continuel scrupule des superfluités que je fais de paroles et d’écriture. C’est la principale imperfection des filles, et surtout de moi, qui est d’être très grande parleuse.

Cela me fait souvent rougir de honte, quand je fais réflexion sur la quantité, la vanité et l’inconsidération de mes paroles et, si je ne m’en corrige point, je vous supplie encore une fois, et par vous, s’il vous plaît, mon très cher neveu de Sacy, de demander à Dieu la correction de cette grande imperfection, qui m’affaiblit beaucoup l’âme et encore le corps…. »

Religieuse par Claude Mellan (1598-1688)

Lévitation synergique

Ma tante :

« Je ne parlerais pas des effroyables billevesées de tes trois billets « Ténèbres du coeur. » Toujours le besoin de sortir du cadre.

Tu aurais du t’inspirer d’un auteur classique au lieu d’aller chercher un auteur des confins, aussi mystérieux que les Kamis, esprits légendaires.

Hemingway dans « Bimini » (1970), dit qu’ « il faut s’évader de soi-même où qu’on soit. »

Voilà une phrase compréhensible et facile à mettre en oeuvre. »

Parfois avec ma tante, j’ai l’impression d’être le petit chaperon rouge perdu au fond d’un tunnel, poursuivi par le Grand Méchant Loup, ou d’être un lecteur égaré dans un livre, auquel il manquerait de nombreuses pages.

Pour me détendre, je m’imaginais en train de surfer, ou du moins d’apprendre à surfer, sur un atoll de rêve, en lévitation synergique avec des vahinés.

La nuit suivante pendant mon sommeil, j’ai rêvé d’un livre dans lequel je fauchais de l’herbe. Cela me paraissait important, mais je ne me souviens ni du titre, ni de l’auteur.

Ma tante me conseilla, la prochaine fois que je rêverai d’un livre comme celui-là, de le fermer, de le ranger sur une étagère, et d’aller faire une promenade rêvée.

Mon voisin Totoro (esprit légendaire de la forêt ressemblant à un gros ours, sorte de croisement entre un chat et un panda).

Boileau (1636-1711)

Le 19 mai 1687, Nicolas Boileau écrit à Jean Racine à propos d’une extinction de voix :

« Je voudrais bien pouvoir vous mander que ma voix est revenue, mais la vérité est qu’elle est au même état que vous l’avez laissée et qu’elle n’est haussée, ni baissée d’un ton. Rien ne la peut faire revenir ; mon ânesse y a perdu son latin, aussi bien que tous les médecins.

La différence qu’il y a entre eux et elle, c’est que son lait m’a engraissé et que leurs remèdes me dessèchent. Ainsi, mon cher Monsieur, me voilà aussi muet et aussi chagrin que jamais. J’aurais bon besoin de votre vertu et surtout de votre vertu chrétienne, pour me consoler.

Mais je n’ai pas été élevé, comme vous, dans le sanctuaire de la piété ; et, à mon avis, une vertu ordinaire ne saurait que blanchir contre un aussi juste sujet de s’affliger que le mien. Il me faut de la grâce, et de la grâce augustinienne la plus efficace, pour m’empêcher de me désespérer ; car je doute que la grâce molinienne la plus ‘suffisante’ suffise pour me soutenir dans l’abattement où je suis.

Vous ne sauriez imaginer à quel excès va cet abattement, et quel mépris il m’inspire pour toutes les choses de la terre, sans néanmoins (ce qui est de fâcheux) m’inspirer un assez grand goût des choses du ciel… »

NB : En parlant du « sanctuaire de la piété » et de la grâce, Boileau fait référence aux Jansénistes qui ont formé Racine. Il ne les nomme pas, car les Jansénistes sont alors considérés comme la peste par Louis XIV. Ils seront dispersés en 1709.

Portrait de Nicolas Boileau, par Jean-Baptiste Santerre, 1678.

Ténèbres du coeur (3)

Perdus, nous avancions dans les ténèbres et mon ami regrettait qu’il n’y eut pas d’oiseaux.

Les oiseaux dans un for intérieur c’est rare, mais…

Je le prévins qu’un léger brouillard masquait à présent les ténèbres du coeur, faisant presque de ce lieu une topothésie. Il me regarda avec un oeil de mélèze atteint de consomption.

Une phrase entendue dans le métro me semblait appropriée : « Je veux sortir de cette ombre qui n’est pas ma lumière. »

J’ai eu droit à un regard inquiet.

Notre capital d’orientation se rapprochait de zéro.

J’avais eu l’ambition de franchir l’obstacle des « ténèbres du coeur », et nous avions fait chou blanc.

Aurais-je du consulter une diseuse de bonne aventure ? Ce qui fit à dire à mon ami : « La sobriété de vos regrets m’impressionnent. »

(…)

Ouf, nous étions ressortis ! Mon cerveau faisait du surf népalais.

Pour me changer les idées, je me remémorais le « Sermon sur la mort » de Bossuet :

« …ce dernier moment, (…) effacera d’un seul trait toute votre vie, s’ira perdre lui-même, avec tout le reste, dans ce grand gouffre du néant. Il n’y aura plus sur la terre aucun vestige de ce que nous sommes… » 

Lire Bossuet est revigorant.

Ténèbres du coeur (2)

Haruki Marukami avait-il songé à « Au coeur des ténèbres » de Joseph Conrad, lorsqu’il avait parlé des « ténèbres du coeur » ?

Nous progressions dans les ténèbres de mon for intérieur. Mon ami estimait que nous n’avions pour l’instant gratté que la surface des ténèbres : « C’est simple. Il nous faut un périscope intellectuel. »

Les ténèbres devenaient plus en plus denses.

« Je ne comprends pas. C’est quoi cette histoire de périscope intellectuel ? »

« C’est pour établir le plan de votre for intérieur. »

« Laissez tomber, mon for intérieur est complexe, et la signalétique est absente. »

« A propos, avec toutes ces ténèbres, il est difficile de voir si vous avez une beauté intérieure, où si vous avez abusé de soins cosmétiques pour tenter d’en avoir une. »

« Ma beauté intérieure – hypothétique – est plus proche de l’atmosphère de « No Country for Old Men« , que d’Odette dans le Lac des Cygnes. »

A moins de suivre un lapin blanc qui aurait couru avec une montre gousset, en disant : « Ah ! j’arriverai trop tard ! », nous étions perdus.

(à suivre)

Ténèbres du coeur (1)

Dans « Profession romancier », Haruki Murakami pense que l’écrivain « s’enfonce dans les souterrains de la conscience. Descend au plus profond des ténèbres du coeur. Et plus l’histoire qu’il veut raconter est vaste, touffue, plus il doit aller loin dans le sous-sol. (…) Plus l’histoire à raconter est dense et fourmillante, plus l’obscurité dans laquelle plonge l’écrivain est lourde, épaisse. »

Avant cela, pour caractériser la littérature, il évoquait les « phénomènes à contre-sens », créatifs pour le romancier, illustré par ce dicton : « Le bois coule, la pierre flotte. »

J’invitais un ami à franchir avec moi l’obstacle des « ténèbres du coeur ».

Mon ami me fit remarquer : « Je ne vois pas comment nous allons pouvoir pénétrer dans les ténèbres de votre coeur. A ce propos je n’ai jamais douté des ténèbres qui sont le lot quotidien de votre conscience. »

Perfide insinuation ! Je n’ai pas mordu à l’hameçon.

Nous allions utiliser les ondulations de l’espace-temps – mes ondulations préférées – pour pénétrer dans mon for intérieur, où se trouve le coeur comme chacun sait. Il fallait seulement s’équiper d’une boussole, de lampes frontales et de quelques provisions.

(à suivre)

par Klee

Nouvelles de Byzance (949 ap J.C.)

Liutprand (vers 920 – vers 972-73), évêque de Crémone fut envoyé par Berenger roi d’Italie, comme ambassadeur à Byzance en 949, pour rencontrer l’empereur Constantin VII (905-959).

Il offrit neuf cuirasses, sept boucliers rehaussés de clous dorés, deux coupes d’argent dorées, des épées, des lances, des piques et quatre esclaves carzimasia.

Un carzimasium est un eunuque dont on a – enfant – coupé les parties viriles et la verge. Cette opération était faite à Verdun pour l’Hispanie.

Lorsque l’ambassadeur rencontre l’empereur, celui-ci est assis sur un trône qui s’élève jusqu’au niveau du plafond.

« Il y avait, devant le siège de l’empereur, un arbre de bronze, doré néanmoins, sur les branches duquel se trouvaient différentes espèces d’oiseaux, également en bronze doré, et chaque oiseau, selon son espèce, émettait un chant différent.

(…) Des lions d’une taille immense, de bois ou de bronze, je ne sais, en tout cas tout couverts d’or, semblaient monter la garde ; frappant le sol de leur queue, ils rugissaient et dans leurs gueules ouvertes on voyait bouger leurs langues..

Sur l’illustration ci-dessous on peut voir que les byzantins sont en « robes ». L’ambassadeur trouve que les hommes sont « efféminés », alors que la mode des pantalons venue du Nord était depuis longtemps adoptée en Italie.

Lors des banquets, les convives boivent « une sorte d’ignoble liqueur de poisson. » C’est une boisson à base garum, très prisée des romains de l’antiquité et des byzantins, composée de sang de boyaux de poisson, fermenté dans de la saumure.

Source : Liutprand de Crémone : Ambassades à Byzance. Ed. Anacharsis, 2021.

L’empereur Alexandre sur son lit de mort, passe le pouvoir à son neveu Constantin VII Porphyrogenitus.

Il ne se passe rien

« Je suis si influençable, mais aussi, si suggestible. L’impression que les gens ont de moi, déteint sur moi tout de suite, je deviens tout de suite et malgré moi, exactement comme ils me voient. »

Cet aveu dans, « Portrait d’un inconnu » de Nathalie Sarraute, me correspondait en partie.

Ma tante me dit que j’étais un champion de l’épanorthose avec mon, « me correspondait en partie. »

J’avais échappé à « Cloporte nodocéphale des Carpates« , on était en plein progrès. J’étais ragaillardi.

Je buvais une décoction de thym, (par ailleurs réputée pour réduire le risque d’avoir des flatulences intempestives). Je demande pardon au lecteur pour cette précision triviale.

Je me demandais si je n’allais pas écrire un journal intime, bien que je fusse persuadé que ce journal – dans mon cas particulier – n’était pas une fin en soi, car ma vie, finalement, n’a rien de personnel. (Je me comprends).

Il fallait aussi tenir compte d’un souci en partie important des journaux intimes, évoqué par Nelly dans « Quai des Brumes« , lorsqu’elle dit à Jean : « A chaque fois que le jour se lève, on croit qu’il va se passer quelque chose, et puis il ne se passe rien. »