Brèves de comptoir

Toutes les brèves de comptoir ci-dessous sont issues de, « Gourio Jean-Marie : Les nouvelles brèves de comptoir. T1. Points, 2008. »

Logique

Si tu meurs dans ton sommeil, à la limite le lendemain matin tu te réveilles, et tu le sais pas.

Coincidence

Quand on est incinéré, on ne peut plus se retourner dans sa tombe.

Evidence

L’humour anglais, c’est compliqué, faut parler anglais et avoir de l’humour.

Pratique

Quand c’est déplié, une vache, c’est un parachute.

Physique amusante

L’électricité au microscope, tu verras rien.

Rassurant

On n’a jamais vu un piéton écraser une voiture.

Piment écologique

« Il est certain qu’on ne t’attend pas à l’hôpital pour une opération de l’appendicite. »

Heureusement, ma tante était en une petite forme.

« C’est vrai, bien qu’une précédente version de moi-même savait comment on ôte l’appendice enflammé d’un ver de terre. Mais je crois qu’on n’accepte plus les candidatures pour la chirurgie des vers de terre. »

« Espèce de symptôme d’adénome tubuleux de seconde zone. »

J’eus un sourire suave : « Pour rester calme, je vais utiliser en rentrant une méthode hatha-yoguique de nettoyage intérieur : on nettoie son estomac et son oesophage avec un morceau d’étoffe qu’on avale et qu’on retire. »

« Ton sourire suave ne serait là que pour masquer des turpitudes invisibles? Je te conseillerais plutôt la planche à clous des sadhus. »

Il y a des jours où, après nos conversations, quand je me regarde dans un miroir, j’ai l’air d’un inconnu.

« Je préfère m’allonger sur les cailloux et le sable du désert de Joshua Tree Park.« 

« Très bien, retourne à tes textes aussi plats que du piment écologique en nid d’abeille encastrable.« 

Je deviens agité.
Par Alicia Savage

Le goût de faire son salut

Lettre (24 janvier 1674), de Mme de Sévigné à sa fille :

« Je revins hier du Mesnil, où j’étais allée pour voir le lendemain M. d’Andilly (à Port-Royal des Champs chez les jansénistes). Je fus six heures avec lui. J’eus toute la joie que peut donner la conversation d’un homme admirable.Je vis aussi mon oncle de Sévigné, mais un moment.

Ce Port-Royal est une thébaïde, c’est le paradis, c’est un désert où toute la dévotion du christianisme s’est rangée, c’est une sainteté répandue dans tout le pays à une lieu à la ronde.

Il y a cinq ou six solitaires qu’on ne connaît point, qui vivent comme les pénitents de saint Jean Climaque ; les religieuses sont des anges sur terre. Tout ce qui les sert, jusqu’aux charretiers, aux bergers, aux ouvriers, tout est saint.

Je vous avoue que j’ai été ravie de voir cette divine solitude dont j’avais tant ouï parler.

C’est un vallon affreux, tout propre à inspirer le goût de faire son salut.

Je revins coucher au Mesnil, et hier ici, après avoir encore embrassé M. d’Andilly en passant. »

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Après avoir distribué des fleurs (assez ambigües), « jusqu’aux charretiers, aux bergers, aux ouvriers, tout est saint« , Mme de Sévigné casse en une phrase ce qu’elle vient d’affirmer.

Art de la répartie assassine, apprécié dans les salons, ou précaution oratoire vis à vis Louis XIV, hostile aux jansénistes ?

Choses diverses

Toutes les anecdotes de ce billet sont tirées de, « Les Infréquentables frères Goncourt » de Pierre Ménard, Texto, 2020.

Stendhal lisait quelques pages du Code Civil avant d’écrire.

Lamartine se présente le 10 décembre à la magistrature suprême, mais n’obtient que 17 910 voix face à Louis-Napoléon qui, lui, en obtient cinq millions et demi. Les paysans, qui votaient pour la première fois, craignaient que La Martine ne soit une femme.

Edmond et Jules de Goncourt allaient en promenade visiter la morgue de Paris, comme beaucoup de leurs contemporains, où les cadavres non réclamés étaient exposés, (afin qu’éventuellement quelqu’un les reconnaissent).

Robert de Montesquiou, dandy qui inspira Proust, trouvait que la pianiste Madame de Saint-Paul – commère redoutée – était « un serpent à sonates. » Celle-ci avait dit à une femme qui voulait se faire introduire dans un salon : « Votre seule présence enlèverait à ce salon, l’éclat qui vous y attire. »

L’Académie Française avait refusé la candidature d’Edmond de Goncourt au motif que ses oeuvres historiques n’avaient pas le style qui convenait : « Ce sont des vivacités de style qui vous ont fait écarter, » (Montalembert). Seules les oeuvres poétiques ou historiques étaient retenues par l’Académie. Les romans relevaient d’un « genre mineur, féminin, vulgaire. »

Lorsqu’à la fin de sa vie, Edmond de Goncourt voulut créer l’Académie Goncourt, financée par sa fortune, son notaire s’opposa à cette « fantaisie de toqué. »

« ..dans cent ans on ne trouvera plus à se faire servir; il n’y aura plus de domestiques..Je le dis souvent à ma femme et ma fille : Vous verrez que vous serez un jour obligées de faire votre lit. » In « Renée de Mauperin », roman d’Edmond et Jules, 1864.

Edmond détestait le progrès sous toutes ses formes, en particulier le téléphone. En revanche son amie, la comtesse Greffulhe, aime le téléphone, car elle peut parler à un homme qu’elle ne saurait recevoir chez elle, et, pour toutes les femmes, « si le mari arrive, on jette le machin sous le lit, et il ne voit que du feu. »

Par Gavarni

Jugement sûr

Une dame anglaise m’avait entretenue de sa déception à l’idée de mourir un jour, et, une fois morte, de ses regrets d’avoir dû mourir. 

Je la rassurais en lui disant ce que ma tante m’affirmait toujours lors des enterrements : « Le cerveau cessant de fonctionner, il devient difficile pour la personne décédée d’exercer un jugement sûr ».

La dame ne fût pas convaincue, elle me regarda comme Tommy Lee Jones regarde un suspect dans « No country for old men ».

Je commençais à regarder discrètement mes baskets pour avoir l’air de rien. Personnellement je n’aime pas trop avoir l’air de rien. L’air de rien finit par prendre toute la place et alors, on est coincé. 

Histoire de faire une diversion, je dis : « How to dress for tea with the Queen ? » (Comment s’habiller pour le thé avec la Reine ?)

J’appris qu’il fallait s’habiller simplement avec des couleurs discrètes, et ne pas rester la bouche ouverte (« mouth hanging open, you will look like a total cretin »).

J’évoquais cette anecdote avec mon ami. Il me répondit avec une citation de Samuel Beckett : « Je serais là, si vous avez besoin d’obscurcissements. »

Goofy

Pensées obscures

Mon ami m’avait dit en se servant un verre de Saint-Chinian, en observant une punaise des bois posée sur sa main.: « Vous êtes victime des mutations de vos pensées obscures et d’interprétation fuligineuse. »

Je n’aimais pas trop les « mutations de vos pensées obscures« , mais j’aimais bien « interprétation fuligineuse. »

« Mais il faut que vous trouviez par vous-même comment vous délivrer de vos tourments, je ne puis vous aider. »

Un sèche-cheveux pourrait-il « assécher » définitivement mes pensées obscures ? (Je me comprends).

J’évoquais aussi à un chaman yakoute qui m’eût indiqué comment libérer mon esprit captif de ces pensées obscures.

Que n’avais-je pas dit !

« Pas d’aide extérieure, pas de chaman, si on ne progresse dans la vie que sur des plans inclinés faciles à monter, on mène une vie de limace.« 

Quand je parle avec lui, j’ai l’impression de me cramponner au bord d’une cuvette et de glisser irrésistiblement vers le fond, sauf qu’il n’y a pas de fond. 

Casier à homards

Assis au bout d’un jardin, je regardais des arrangements de feuilles et d’aiguilles de pins se faire et se défaire au gré du vent, sur des dalles grises.

Soudain, je fus stupéfait, en lisant cette phrase de Fichte, dans Beitrag zur Berechtigung der Urteile des Publikums über die französische Revolution,(Contribution pour rectifier les jugements du public sur la Révolution française) :

« L’expérience en elle-même est une boîte remplie de caractères jetés pêle-mêle. C’est l’esprit humain seul qui donne un sens à ce chaos, qui en tire ici une Iliade, et là un drame historique.. »

Vous allez me dire, mais pourquoi lire un ouvrage de Fichte ? En fait j’avais eu le choix entre passer l’aspirateur, et lire cet ouvrage, et j’avais choisi Fichte. La vie est ainsi faite.

Revenons à cette citation. Je l’avoue, pour écrire certains billets, je me retrouve in fine, avec une boîte remplie de caractères ou de mots, et il faut en tirer un billet qui ait un sens (mais pas forcément l’Iliade). 

Ma tante dirait que mes billets n’ont guère de sens : « C’est normal de la part d’un auteur aussi peu efficace qu’un casier à homards sans essuie-glace. »

Alors là, je réponds : « Tout le monde n’est pas forcément content, il y a des déçus« [Alain Souchon], des déçus qui auraient préféré des étoiles roses, des fées, et surtout, hein, des bons sentiments.

Mon ami, après avoir lu la phrase de Fichte, me conseilla, « de m’abstenir de bricoler des caractères jetés pêle-mêle. Un élève de 6ème, j’en suis sûr, s’en sortirait mieux que vous. » 

Fichte

Bruine dans l’âme

Je commençais à écrire mon prochain billet:

« Le paysage était un pur dépaysement et un lieu enchanteur, nous marchions au rythme du chant des oiseaux et du bruit des cascades argentées. Une belle naïade dévêtue nous faisait des signes… »

J’abandonnais ce début éblouissant – même si ce dernier mot peut paraître prétentieux – car j’étais préoccupé.

J’avais lu une phrase dans « Moby Dick » d’Herman Melville : »..chaque fois qu’il bruine et vente dans mon âme et qu’il y fait un novembre glacial..« 

A quoi pouvait ressembler une bruine, « dans mon âme » ?

Deux questions virent à mon esprit : Avais-je une âme, et si j’en avais une, où diable pouvait-elle se trouver ?

J’avais beau chercher dans les dédales de mon esprit, je ne la trouvais pas. D’après ma voisine – très remontée lors de nos discussions religieuses – il est impossible que je n’ai pas d’âme.

Peut-être avais-je eu une âme ? M’aurait-elle dit sans que j’y prête attention : « J’ai des choses à faire, il faut que je te laisse, à la revoyure. » ?

Mon ami, à qui je me confiais, s’arrêta de créer des arcs électriques dans un boîte pleine de poussière, (une expérience que je jugeais fort dangereuse), me regarda, et dit : « Faites attention à la bruine, le rhume dans l’âme, c’est dangereux. Après, il faudrait la faire sécher sur un fil ».

par Robert Vanderhorst

« Glaces, Crèpes, Gauffres, Beignets à l’ancienne »

Mon ami, pour rendre service à une copine japonaise avec qui il venait de se réconcilier, tenait un kiosque : « Glaces, Crèpes, Gauffres, Beignets à l’ancienne ». Il chantonnait : « Je tisserai des chants / Au soir et au levant / Un point pour chaque étoile / Chanson de toile… » [Emilie Simon], en donnant une glace à une dame. Celle-ci le complimenta pour ses talents de chanteur.

J’avais fait un geste un brusque avec mon bras, et ma propre glace était tombée par terre. La boule de crème glacée commençait à fondre dans la poussière. Je contemplais le désastre avec mélancolie.

« Vous avez bien fait de renverser votre glace », remarqua mon ami, « un estomac vide rend les idées plus claires. N’avez-vous pas remarqué que les gens manquent de vitalité quand ils mangent trop ? »

Perfide ! Je demandais : « Vos beignets à l’ancienne ne sont-ils pas un peu anciens ? »

« Pardon ? », mon ami me regarda carrément de travers.

Etre regardé de travers me déséquilibre. Je changeais de sujet : « Alors est-ce un travail simple et gratifiant ? ».

« Ma motivation, vous l’imaginez, ne repose pas sur un simple critère de salaire. » Il se pencha pour donner une « barbe à papa » à un petit garçon qui voulait savoir comment c’était fait. 

« Eh bien, la barbe à papa est faite de fils de toiles d’araignées, sucrés et colorés par l’araignée elle-même. C’est plus naturel. »

Le petit garçon qui avait écouté avec attention, jeta brusquement sa barbe à papa par terre, et se mit à hurler en direction de sa grand mère. Quelques instants après, celle-ci lui fit les gros yeux : « Ce n’est pas bien de mentir. Où as-tu été chercher ces âneries ? »

Je regardais mon ami. Serein, il chantonnait : « Barbapapa est tout rose, rose / Plus rose qu’une rose rose / Barbamama est plus noire / plus noire qu’une rose noire… »

De l’utilité des maréchaux-ferrants

« Parmi les braves du siècle, M. de La Petitière passait pour la meilleure épée de France et sur qui le cardinal de Richelieu se reposait de la sûreté de sa personne. C’était un lion plutôt qu’un homme.

Le feu lui sortait par les yeux et son seul regard effrayait ceux qui le regardaient. Dieu se servit d’un malheur qui lui arriva, pour toucher d’une crainte salutaire son âme féroce et incapable de toute autre peur.

Comme il avait une querelle avec un parent du Cardinal, il eut plus de huit jours un cheval toujours sellé et prêt à monter, pour aller se battre contre celui de qui il croyait avoir été offensé.

La fureur qui le transportait était telle qu’encore qu’il fut le plus habile et le plus adroit du royaume, il reçut lui-même, après avoir blessé à mort son ennemi, un coup d’épée dans le bras entre les deux os, où la pointe demeura enfoncée sans qu’il pût jamais la retirer.

Il se sauva en cet état à travers champs, portant dans son bras le bout de l’épée rompue, et alla trouver un maréchal [ferrant] qui eut besoin pour la tirer de se servir des grosses tenailles de sa forge.

M. de La Petitière crut bien que le Cardinal ne lui pardonnerait pas la mort de son parent. Ainsi il se retira et se cacha.

(…) il trouva moyen, après la mort du cardinal de Richelieu et celle du Roi, de se venir retirer avec nous dans notre désert [Port Royal, fief des Jansénistes], s’abaissant jusqu’à faire des souliers. »

Source : Nicolas Fontaine, 1625-1709, écrivain et théologien français.

Meissonier – Mousquetaire, 1861