Lecteurs vs Auteurs

« Agir sans but ni profit est l’attitude exacte » (Dogen, 1200-1253).

C’était une attitude que je voulais adopter depuis que mon ami – il a fait quelques études de lettres – voulait écrire un essai sur, « L’influence des lecteurs morts sur les auteurs vivants. »

J’étais étonné, je pensais qu’un auteur aimerait vérifier si ses lecteurs sont en bon état. Sont-ils trop vieux, trop jeunes ? Ont-il des problèmes de compatibilité avec l’auteur, avec le sujet du livre ? 

A la rigueur j’aurais évoqué les lecteurs morts, contemporains des auteurs disparus depuis longtemps, (« Longtemps, longtemps, longtemps / Après que les poètes ont disparu »- Prévert).

Je répondis à mon ami qu’à l’inverse, j’étais d’accord avec Barthes : « La naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’Auteur.« 

Barthes voulait dire, qu’une fois l’oeuvre d’un auteur livrée au public, cette oeuvre ne lui appartient plus. Il est mort symboliquement. (Du moins c’est ainsi que je l’interprète).

Il me regarda d’un oeil noir :  « Vous insinuez que mon projet d’essai serait carrément mort avant même d’avoir commencé ? » 

Je réfléchissais à un essai sur, « L’influence des mouches mortes sur les camemberts affinés. » 

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Prévert (1900-1977), a des lecteurs vivants.

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Foucault, Lacan, Levi-Strauss, Barthes.

 

 

 

Patate connectée

Nicolas Baldeck a présenté au salon de Las Vegas CES 2020 une « patate connectée », qui « prend son électricité dans la patate, et connecte la patate au téléphone, en Bluetooth. » 

Dans un premier temps j’avais cru qu’il parlait des commentateurs ordinaires sur les réseaux sociaux, mais je n’avais pas lu la suite de l’article.

Ma tante, à ce récit, ironisa : « Tu fais ton difficile, je vois que tu n’aime pas les hommes ordinaires. Ceci trahit les désordres de ta pensée…Des patates connectées !! Tu ne penses vraiment qu’à des choses inintéressantes ? »

Je lui répondis : « Oui. Ne penser qu’à des choses inintéressantes, c’est ce qui rend les choses intéressantes. » (Je triomphais modestement).

Ma tante éluda ma dernière réponse : « En gros, comme les racines, les feuilles, les tiges, les fleurs de la pomme de terre (Solanum tuberosum), sont toxiques, est-ce que tu insinuerais que les patates-commentateurs connectés sont toxiques ? »

Une fois de plus elle m’avait eu.

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Gaufre

Lorsque la réalité devient opaque, grâce à un exercice de pensée, je choisis de m’échapper par la seule porte de Proust : « On a frappé à toutes les portes qui ne donnent sur rien, et la seule porte par où on peut entrer et qu’on aurait cherchée en vain pendant cent ans, on y heurte sans le savoir, et elle s’ouvre.« 

Après cette porte, je rencontre parfois des poètes, des sages et même des assassins de gaufres.

Vous allez me dire qu’on n’assassine pas des gaufres. 

Mauvaise remarque.

Il aurait mieux valu poser une question essentielle : « Que faire si vous voulez assassiner une gaufre ? »

Une observation en passant : une gaufre qui fait, « dong, dong », si on la cogne légèrement, ne doit pas être confondue avec une gaufre qui fait, « toc, toc. » 

Et il ne faut pas oublier aussi un aphorisme plein de bon sens : « Faute de gaufre, il n’y a pas d’assassinat. »

Mais ne faisons pas dire à une gaufre plus que ce qu’elle a à dire. Une gaufre n’est pas une devinette ou un rébus.

Si une gaufre que vous êtes prêt à assassiner, vous dit : « Je ne me ferais certainement pas assassiner par un imbécile », laissez tomber, et repassez la porte de Proust dans l’autre sens.

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2+2 = 4 environ

« Un grille-pain déprime-t-il lorsqu’il brûle des tartines de pain ? »

Cette question de mon ami (qui venait d’arriver), me réveilla brusquement alors que je somnolais, en essayant de comprendre la réponse que m’avait donné l’intelligence artificielle (IA) : « 2+2 = 4 environ. »  

Je venais d’acheter une IA, et – selon le monde d’emploi – je devais la tester avec un premier calcul simple.

Ma tante me dit souvent : « Il y a des calculs qui font somnoler, on y peut rien! »

Mais pourquoi l’IA avait-elle répondu « 2+2 = 4 environ » ?

Avant de répondre à mon ami, je fis un nouveau test.

Réponse : « 2+2 = 4 couci-couça ».

Cette réponse tel un mince film d’eau savonneuse, formait une bulle qui englobait peu à peu mon esprit. 

Je pensais à Lakmé * qui chante fort à propos : « Mais, je ne sais quelle crainte subite, S’empare de moi.. » 

Soudain la bulle éclata.

l’IA se mit à me parler via le son ** de l’ordinateur portable  : « La dépression des grille-pains se soigne  en leur faisant faire des calculs simples comme : « 1 tartine grillée + 1 tartine grillée », ainsi ils échapperont à l’ennui. »

Il y a un hic quelque part. Je pense que je vais redémarrer ou rebooter complètement le système d’exploitation du portable,  sinon ça ne va pas marcher avec mon IA. 

* Opéra en trois actes de Léo Delibes.

** Avec une voix recto tono, (= sur un ton régulier, sur une seule note).

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Schéma de l’IA, couci-couça

 

Le temps ne dure pas longtemps

Il y a des nuits où on ne devrait pas se réveiller. Les choses qui vous préoccupent prennent alors une importance démesurée. 

Une phrase collait à mon esprit, telle un insecte sur une vitre.

Cette phrase : « Le temps ne dure pas longtemps », m’avait été dite  par une personne âgée à qui je rendais visite.

Je déteste les petites phrases qui vous déstabilisent.

Moi qui avais des certitudes naïves sur le temps, il fallait que je me reprenne en main.

Je devais comprendre cette phrase et la replacer – comme on dit – dans ma zone de confort où, « Le temps dure longtemps / Et la vie sûrement / Plus d’un million d’années / Et toujours en été. » (Nino Ferrer).  

Légèrement ironique, ma tante m’avait donné un avis en demi-teinte : « Ce qu’elle a dit est pourtant évident. Fais ton possible. Tu trouveras peut-être. En attendant, écoute Henri Michaux : « Il allait lentement, le plus lentement possible, pour que son âme puisse éventuellement rattraper son corps. » « 

 

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Le Temps

Tartine grillée

Mon ami prenait des photos de tartines tirées de son grille-pain. C’était, d’après lui, le seul moyen de combattre le blues qui le poursuivait.

Je lui conseillais de mettre son blues au vert, même si on était en hiver. (Je me comprenais).

Il n’était pas enthousiasmé par le vert en hiver, et reprit une photo de tartine grillée.

Je suggérais d’ajouter du beurre et de la confiture de myrtille pour améliorer les notes de couleur.

Il approuva au nom d’une, « déconstruction structurale du champ de l’Art ».

Je songeais à proposer un titre pour cette Oeuvre Déconstruite« Mort et Transfiguration d’une Tartine Grillée ».

Mais comme dit Lao-Zi : « L’homme de vertu (…) règle ses affaires en pratiquant le non-agir (..) s’abstient de toute action. »  Je gardais le silence.

Mon ami récitait des vers de Baudelaire d’un air sombre, en remettant deux tartines dans le grille-pain : « Il me semble parfois que mon sang coule à flots, / Ainsi qu’une fontaine aux rythmiques sanglots…« 

Puis il réaffirma : « Il n’y a rien de meilleur que des tartines grillées pour alléger le blues. »

J’adaptais un conseil de ma tante * : « Au fond, le bonheur n’est pas de vivre comme les tartines grillées, mais parmi les tartines grillées. »

Il eut l’air fâché.

* Conseil original : « Au fond, le bonheur n’est pas de vivre comme les vaches  mais parmi les vaches. »

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Pensées

Agrippine – personnage de Claire Bretécher – assure que : « Personne n’a besoin de savoir ce que je pense, et surtout pas moi. » 

Savoir ce qu’on pense peut être téméraire, car on découvre des pensées illusoires ou irréalistes. Mais, « sans ces sortes de pensées, nous serions livrés au désespoir », dixit ma tante.

Elle en remis une couche : « Tes pensées, au fond, sont semblables à celles de personnages de littérature, où les bergères épousent des princes. Relis l’Astrée, il n’y a que cinq mille pages, c’est vite fait. »

Il va falloir que je pense à me déguiser en personnage de l’Astrée, avec un bonnet orange à clochettes, une chemise à parements dorés, une culotte bouffante verte, des chaussettes mi-mollet à rayures noires et blanches, et des chaussures rouges à pompons jaune.

D’après Gongsun Long (sophiste du début du IIIème av. JC), « Il existe des pensées qui dérivent de nulle part. »

En général je n’ai pas beaucoup de pensées, mais quand elles dérivent de nulle part, alors là, je suis heureux. 

Ce matin je me suis réveillé avec une pensée de nulle part : je rangeais l’aspirateur, en lui ordonnant de ne pas vider son sac à tout propos. 

Ma tante soupira : « Il y a des pensées qui gagnent à ne pas être connues. »

 

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Astrée bannit son amant qui, les bras croisés, se jette dans la rivière Lignon.

 

 

 

 

 

 

 

 

Que mon sort est amer !

Ma tante m’avait conseillé d’écrire sur les innombrables séries américaines qui représentent des « coryphées de bazar, assemblés autour d’un parapluie sur une table de dissection. »

Mais faire un billet sur les séries du genre NCIS ne m’enthousiasmait pas.

Elle me proposa alors d’écrire sur l’Amour avec un grand A, en commentant des vers de Théophile Gauthier : « Que mon sort est amer! / Ah ! sans amour s’en aller sur la mer ! »

Je n’osais pas débiner Théophile Gauthier, mais là, quand même.

Je lui expliquais que, quand j’écris, je dois choisir entre ce que j’écris, et ce que je n’écris pas. Et ce que je n’écris pas, grossit beaucoup plus vite que ce que j’écris.

Elle me demanda si j’étais, « un gogolito qui récupère des billets dans des mondes parallèles, un peu au hasard ».

Il faut que je revoie la série Fringe, où passer dans un monde parallèle, est courant.

 Ou alors il faut que je retrouve un petit livre écrit par des sorcières débutantes. Il y avait une recette intéressante : « Comment faire disparaître le sens de la vie, et sa tante par la même occasion ».

 

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  • Y a-t-il des questions ?
  • bip bip bip bip ?
  • Non, Conrad, je ne sais pas si la vie a un sens !

 

 

Conseils avisés

Je songeais au poème « Chat », de Ventricule Gauche : « Souviens-toi des choses qui n’existent pas / pour rendre la parole au secret / Bonheur et béatitude sont en feu / car le chat contingent se décompose. »

Pendant ce temps là ma tante se souvenait de son enfance  : « Quand j’étais petite on me demandait de réfléchir avant de cracher en l’air. »

Un conseil fort avisé pour ne pas recevoir le crachat sur la figure. 

Je lui répliquais qu’on me demandait de ne ne faut jamais oublier de mettre des chaussettes aux deux pieds, une chaussette au seul pied gauche porte malheur.

Un conseil également fort avisé, sauf si on a perdu une des chaussettes. La chaussette doit alors couvrir le pied droit.

Ma tante craignait que je n’aille vers une interprétation tarabiscotée du sens de la chaussette.

Je sentis comme une ironie en laine mérinos qui flottait dans l’air. (Je tire cette expression d’un autre poème de Ventricule Gauche.)

Ma grand mère conseillait plus sérieusement à ma tante d’apprendre ce qu’elle ne connaissait pas, sans préjuger de ce qu’elle pouvait ou voulait connaître.

Elle n’était pas le genre à compter les bigoudis.

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Scrotch !

J’avais acheté dans une brocante une vieille agrafeuse, avec son lot d’agrafes.

Je l’avais oubliée et, la retrouvant, m’étais mis dans l’idée de tester l’engin avec des piles de papiers de différents formats.

Fatale erreur !

Je vérifiais le ressort qui retenait en l’air le haut de l’agrafeuse. Il semblait rouillé mais en état de marche.

Je maintenais cinq feuilles de papier ensemble, retenais ma respiration, et abaissais la mâchoire de l’agrafeuse vers le papier.

Je dis sobrement : « Aïe ! »

Ma main avait glissé et l’agrafe se trouvait profondément plantée dans la peau du pouce droit. Je m’étais attendu à entendre une bruit du genre  « scrotch », typique du moment où l’agrafe s’enfonce dans le papier et s’aplatit en dessous.

A la place j’avais dit : « Aïe », ce qui est assez différent de « scrotch ». Quelle déception !

Il avait fallu me désagrafer. J’avais prononcé des mots que je ne rapporterai pas ici. 

Après avoir nettoyé « les deux trous rouges au côté droit »* de mon pouce et mis un sparadrap « Goofy », je tins à nouveau fermement cinq feuilles de papier.

Après un élégant mouvement du poignet et du coude, il n’y eut pas le bruit «scrotch» attendu. L’agrafe était bloquée.

Cinq minutes après, l’agrafe était débloquée et se planta à nouveau, mais dans mon pouce gauche.

Après avoir mis sur mon pouce gauche un deuxième pansement Goofy, je rangeais l’agrafeuse.

* « ..Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine / Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. » (Rimbaud).

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